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big-marcheSi l’on consulte la brochure historique publiée lors du six cent cinquantième anniversaire de la Compagnie Royale des Anciens Arbalétriers Visétois, on peut lire en toutes lettres : «La gilde des arbalétriers visétois, placée sous l’égide et le patronage de Saint-Georges, fut fondée en l’an 1310 par Thibaut de Bar, 45ème Prince-Evêque (74ème évêque) de Liège.

Cette origine lointaine dont se réclame la gilde imprègne encore aujourd’hui son histoire et ses traditions : il est cependant permis de se demander dans quelle mesure elle est fondée.

Le 28 août 1310, Thibaut de Bar échange avec le Chapitre de Saint-Lambert la justice d’Amay contre celle de Visé : une note historique due à la main d’un ancien dignitaire de la gilde, fait remonter à cette date la création des arbalétriers. En fait, aucun document ancien et suffisamment précis ne vient confirmer cette hypothèse.

Néanmoins, en procédant à de nombreux recoupements, on peut penser que la gilde a été créée au quatorzième siècle, en 1310 comme le laisse supposer la note déjà citée ou, un peu plus tard, au moment de l’érection des remparts ceinturant la ville (1330-1335).

A cette époque en effet, la Principauté voit apparaître des Compagnies armées dans presque toutes les villes et même dans certains villages Suivant C. GAIER, on appelait gildes des associations de tireurs attitrés et gagés, entretenus en permanence par les communautés urbaines et même rurales à des fins militaires. Ainsi, dès le treizième siècle, Liège disposait d’un corps d’arbalétriers qui assurait le maintien de l’ordre. Il n’est pas impossible que l’exemple de la Cité Ardente ait inspiré d’autres bonnes villes.

Les Arbalétriers de Huy, probablement groupés en corps, apparaissent en 1276.

En ce qui concerne Visé, si la date de création d’une milice destinée à défendre la ville nous échappe, certains faits prouvent que la cité était organisée militairement. En effet, dès les années 1330, le Prince-évêque Adolphe de la Marck fit élever des murs et creuser des fossés (1).

big-marcheLa présence de ces fortifications laisse supposer l’existence ou plutôt la création d’un corps armé chargé de les défendre : comme les Arquebusiers n’ont été créés qu’en 1579 (2), nous pourrions aisément imaginer que ce corps était constitué d’Arbalétriers.
L’histoire des gildes visétoises se confond souvent avec celle de la cité elle-même. Pour déchiffrer la première, il faut souvent s’appuyer sur la seconde.
En 1376, Jean d’Arckel, en lutte avec la principauté, voulut s’emparer de Visé. Il fut repoussé et les troupes du Prince durent même abandonner la bannière de leur maître aux mains d’une jeune Visétoise (3).
C’est épisode, s’il est intéressant, ne prouve pas l’existence d’une milice communale : le texte latin qui le cite semble plutôt faire allusion à une intervention étrangère (4).
La présence d’une Visétoise sur les remparts peut cependant nous laisser penser que les habitants avaient eux aussi contribué à la défense de leurs murs. 

En fait, la question est de savoir si la garde de la cité constituait un service obligatoire, ou si elle était le fruit d’une initiative privée. Les évènements qui eurent lieu vingt ans plus tard, en 1396, sembleraient confirmer la seconde hypothèse.
A cette époque, Jean de Bavière dit « Jean sans Pitié », profitant de ce que les visétois avaient omis de faire le wat (le guet), s’empara de la ville qui fut livrée au pillage et à l’incendie. Une telle négligence nous laisse supposer qu’il n’y avait aucune obligation pour une milice de veiller à la sécurité de la cité.

A ce propos, nous disposons d’un document de 1429 émanant de Jean de Heinsberg qui donne un règlement à la ville de Visé. Elle compte à partir de cette date parmi les Bonnes Villes de la Principauté. Il y est fait allusion au fait que certains bourgeois se refusent à monter la garde sous prétexte qu’il n’existait aucun statut qui pourrait les y contraindre (5). 

Mathieu (6) se réfère à ce document. Selon lui, il semblerait prouver qu’il n’existait aucune milice organisée. De son côté, Ceyssens (7) pense plutôt que les bourgeois avaient pris ce prétexte (manque de statuts) parce qu’il y avait un corps officiel chargé de la défense des murs : il n’y avait donc aucune raison que les civils se mêlent au combat. 

Comme nous le voyons, les choses sont peu claires, et les arguments que l’on pourrait apporter pour confirmer ou infirmer la création de la gilde au quatorzième siècle sont peu décisifs. 

D’autres preuves ont cependant été avancées. Ainsi, Mathieu (8) nous livre un fait dont il conclut à la plus haute antiquité de la compagnie. 

Comme nous l’avons mentionné plus haut, dès les années 1330, la ville était dotée de remparts. Ceux-ci furent détruits à plusieurs reprises.

big-marcheEn 1825, en abattant la porte de Mouland (dite potice), on découvrit, cimentée à l’intérieur des murs, une pierre sculptée aux armes des Arbatétriers : cette trouvaille pourrait nous laisser croire qu’il existait une compagnie d’Arbalétriers avant la construction des remparts, donc avant 1330. Après avoir été transportée dans le jardin appartenant aux héritiers du notaire Closset-Vottem, ancien capitaine de la gilde, la pierre fut maçonnée dans le porche du local de la société où elle se trouve actuellement.

big-marcheTout cela semble très probant, mais Mathieu ignore un aspect de la question qui a son importance, à savoir la destruction complète des remparts par Charles le Téméraire en 1468. Reconstruites en 1480, ces mêmes murailles furent à nouveau rasées en 1675 sur ordre de Louis XIV. En 1682, la reconstruction n’était pas encore terminée.
Rien ne permet donc d’affirmer que la pierre sculptée date d’avant 1330, encore que l’on puisse imaginer que l’on se soit servi des anciens matériaux pour reconstruire les fortifications.
Des données scientifiques plus solides existent cependant. Ceyssens (9) avance un argument qui nous paraît déterminant.

big-marcheDans les archives de l’ancienne Collégiale de Visé, il était question d’un record fait et rendu par la cour des Tenants du Chapitre  » concernant et faisant mention de deux arches séantes en l’eawe dedit Visé a desseur delle porte des Albastries qu’on appelle communément la porte de l’Arche et des reportations et relief dicelles arches. De anno 1599  » .(10)
Selon toute vraisemblance, l’appellation porte des Albastries est le nom primitif. Il faut savoir en effet que, lors de la reconstruction des murs, les portes avaient toutes repris leur nom d’origine. Ainsi, en 1338 comme en 1600, les noms porte du Marcheit («  porte du Marché » ) (11) et porte de Souvreit (« porte de Souvré » ) se retrouvent pour désigner les mêmes réalités. Si le nom de Albastries ( « porte des Arbalétriers » ) est le nom primitif, c’est que ces derniers avaient contribué à défendre les murs abattus par le Téméraire.

Un autre argument tout aussi solide pourrait être avancé qui confirmerait l’ancienneté de la compagnie.

Dès le quatorzième siècle, nous avons évoqué cette question, de nombreuses gildes naissent un peu partout en Belgique (Saint Trond, 131O ; Louvain, 1313 ; Mons, 1316 ; etc…). Pourquoi n’en aurait-on pas créé une à Visé qui avait alors une certaine importance ?

A cette époque, Visé comptait un pont (12) un marché (13), des fortifications, et surtout le chapitre de Saint Hadelin qui venait d’y être transféré en 1338.

Si l’on sait que l’on rattache souvent l’origine des gildes à l’existence des foires marchandes, il est possible qu’il faille chercher la date de création des arbalétriers longtemps avant 131O.

Les milices communales avaient comme but initial de convoyer, moyennant rétribution, les marchands qui se rendaient aux foires et d’assurer la sécurité du transport (14).

A Liège, le revenu de la barque Liège – Huy avait été concédé aux arbalétriers. Un bâtiment édifié sur le pont des Arches, dominant le port et la Meuse, avait été mis à leur disposition.

Outre son marché célèbre, Visé possédait un port fluvial qui desservait les mines de calamine de Moresnet. Les archives de l’ancienne Collégiale, nous nous sommes déjà référés à ce document, faisaient mention d’une porte, dite des Albastries, qui se serait dressée le long de la Meuse, vraisemblablement à l’endroit du port. Ne peut-on pas penser que les arbalétriers assuraient la police du port et surveillaient les allées et venues sur la Meuse : ils auraient donc été créés bien avant le quatorzième siècle. Cette hypothèse est d’ailleurs confirmée par un mandement d’Ernest de Bavière (13 décembre 1559) dans lequel le Prince-Evêque rappelle les privilèges de la compagnie reçus en 1501, et ajoute que les arbalétriers existaient bien avant cette date (15).

Une date précise, qui viendrait clôturer définitivement ce chapitre de l’histoire nous échappe. Il nous est cependant permis, à la lumière des documents et des faits cités, que les Arbalétriers visétois ont un long passé historique derrière eux.

Si vous souhaitez avoir plus de détails sur la vie de la Gilde, veuillez consulter les pages suivantes : La vie de la gilde au Moyen-Age Les activités de la gilde aux 17ème et 18ème siècles. Les activités de la gilde au 19ème siècle. Les activités de la gilde aux 20ème et 21ème siècles.

(1) cf. HOSCEMIUS, Gesta Pontificum Leodiensis, t. 2, p. 415 : «  Eo tempore (1334), Visetum firmatur portis ligneis et fossatis » . («  A cette époque, Visé fut fortifiée à l’aide de portes de bois et de fossé « ) et,  » Hoc anno (1335) Visetum muris lapideis clauditur versus Mosam « . ( » Cette année, Visé fut fortifiée du côté de la Meuse à l’aide d’un mur de pierre « ). Cf. aussi ZANTFLIET, Chronicon Leodiense, Amplissima Collection, t. 5. p. 2O6.
(2) Ils furent créés par Gérard de Groesbeek et confirmés par Ernest de Bavière en 1599 : cf. S. BORMANS et M..L. POLAIN, Recueil des ordonnances de la principauté de Liège, deuxième série (1507-1684), Bruxelles, 1872, t. 3, pp. 446-449.
(3) ZANTFLIET, op. cit., cf. aussi FISEN, Historia Ecclesiae Leodiensis, p (artie) 2, l (ivre) 2, n° 46.
(4) « … qui illic pro defensione illius missi fuerant.  » ( » ceux qui y avaient été envoyés pour sa défense. » )
(5) «  … car les pluseurs nous sourceans en icelle pourtant qu’ils n’ont point de status par les quelz on les puist constraindre, ont esteit rebelles et desobeissants de faire le wat accoustumeit pour la warde de nostre dite ville. « , Registre des privilèges, 1429-1616,fol. 1, jadis aux archives communales de Visé. Ce document a disparu ; cf. POLAIN, première série p. 557.
(6) Les Arbalétriers et les Arquebusiers de Visé, Bull. Inst. Arch. Liégeois, Liège, 187O, t. X, p. 246.
(7) La compagnie des Arbalétriers de Visé, Visé, 191O 2ème édition, p. 16.
(8) Op. cit., p. 247.
(9) Op. cit., p. 16.
(10) CEYSSENS, p. 16.
(11) Ce n’est que plus tard, lorsqu’on construisit la chapelle de Lorette (1684) que l’on appela cette dernière «  porte de Lorette » .
(12) Dans le courant du onzième siècle et de la première moitié du douzième, on construisit de nombreux ponts dans toute la Belgique et notamment dans la région mosane : Givet, Namur, Andenne, Huy, Liège et Visé. Le 22 mars 1106, le pont de Visé fut le théâtre d’un combat resté célèbre, entre les troupes de Henri V et les Liégeois. De nombreux textes relatifs à cet événement ont été groupés par G. MEYER von KNONAU, Jahrbucher des deutschen reichs unter Heinrich IV und Heinrich V, tome 5, excursus 2 de l’année 1143. de Visé est encore cité dans une bulle du pape Innocent III de l’année 1143 : Cf. S BORMANS et E. SCHOOLMEESTERS, Cartulaire de l’église de Saint – Lambert de Liège, tome 1, p. 67.
(13) La foire annuelle de Visé nous est connue par un diplôme fort intéressant de l’Empereur Otton, daté de 983 et dans lequel on énumère les revenus que rapporte le marché de Visé. On y vendait des animaux, des vêtements, du fer, des objets de métal. Les revenus du tonlieu de la foire, affectés d’abord à l’office du Camérier de la Cour, avaient été cédés à la duchesse Béatrice, cousine de l’Empereur . Celui-ci, avec le consentement de sa parente en gratifia Notger, évêque de Liège (Monumenta Germaniae Historica, tome 2, p. 365). A Visé, l’église de Liège percevait, en vertu de concessions royales, des droits pour le stationnement et le passage des bateaux : Cf. S. BORMANS et E. SCHOOLMEESTERS,
(2) op. cit., tome 2, p. 365 Le marché de Visé était un centre actif pour le commerce des peaux d’animaux sauvages. Particularité significative, les deniers de Visé (XIème siècle) étaient à l’image d’un cerf ou d’un bouc, emblème dont on ne signale pas d’autre exemple dans la numismatique de l’époque : Cf. le diplôme de Lothaire III, anno 1131 pour le premier point, et Baron de CHESTRET de HANEFFE, Numismatique de la principauté de Liège, 1890. T.L., pp. 48 et 69, pour le second.
(14) Cf. HENAUX, Bull. Inst. Arch. Liégeois t. 3, p. 388, note 3.
(15) Archives de la Compagnie Royale des Anciens Arbalétriers visétois, publié par M.L. POLAIN, op. cit. deuxième série, tome 2, p. 231.