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Stabilité du vol des carreaux

Ces carreaux témoignent de l’expérience aérodynamique des inventeurs romains qui les conçurent. Aujourd’hui, il est bien connu que l’empennage (qui sert à empêcher la flèche de vriller en vol) est une source de traînée importante. La réduction de la taille de la flèche permet d’allonger sa trajectoire pourvu que celle-ci ne se mette pas à voler de côté (en crabe), ce qui augmenterait considérablement sa traînée. Une des solutions consiste à profiler un fût tronconique plus étroit à l’avant qu a l’arrière. Quand un fût de cette forme commence à virer, la pression totale de l’air est plus élevée sur la partie arrière que sur l’avant si bien que la flèche reprend sa ligne d’origine.Autrement dit, le fût a un centre de friction (point d’équilibre de toutes les forces aérodynamiques agissant sur le fût) arrière du centre de gravité. Sur une flèche cylindrique sans empennage, ce point se situe environ au milieu du fût. Sur un carreau conique, le centre de friction se décale vers l’arrière, plus large. Comme le centre de friction se retrouve en arrière du centre de gravité, ce genre de flèche est plus stable que son homologue cylindrique et subit moins de frottement qu’une flèche munie d’un empennage.

Elargir l’arrière du fût a aussi permis d’alléger la friction de l’écoulement de l’air sur sa surface selon la terminologie moderne, la couche limite se décolle plus en arrière de la flèche: le raccourcissement du fût se justifie par le fait que plus un cylindre est long, plus l’écoulement de l’air à sa surface tend à être turbulent. C’est pourquoi la turbulence (grande consommatrice d’énergie) est minimisée par des fûts courts.

Un autre facteur qui augmente le rendement du carreau conique est probablement la conception de son talon : il est taillé en biseau pour s’ajuster entre les mâchoires de détente de la catapulte.

À l’instar de la forme conique, cette encoche régularise l’écoulement d’air à la queue du projectile et réduit ainsi le sillage turbulent qui consomme beaucoup d’énergie. Rien ne nous autorise à penser que les experts techniques de l’époque connaissaient les efforts ou les détails du frottement et de l’écoulement de l’air. Ces concepts ne commencèrent à prendre forme qu’avec Léonard de Vinci. Les premiers carreaux furent sans aucun doute conçus empiriquement avec des réussites et des échecs accompagnés de déductions logiques; le but principal des recherches était probablement d’accroître portée et puissance d’impact.

Néanmoins, les artisans de l’époque améliorèrent beaucoup la conception des projectiles les expériences en soufflerie que nous avons réalisées nous le confirment. Nous avons testé plusieurs traits: une flèche d’arc médiéval de guerre typique, un carreau d’arbalète médiéval et deux échantillons de chacun des deux types connus de carreaux de catapultes antiques. Nos résultats doivent être interprétés avec quelques précautions car la taille de ces projectiles, en particulier le plus petit, approchait la limite de sensibilité de notre appareil de mesure. Mais, même en tenant compte de ces limitations, cette étude aboutit à d’intéressantes conclusions. Premièrement, le plus petit carreau, assez bien conservé sauf pour ce qui est du talon un peu abîmé, avait une bonne stabilité dans tous les angles de vol possibles lors d’un usage normal.

Deuxièmement, la comparaison entre les différents rapports résistance/poids des quatre traits nous révèle que ce rapport est, pour la flèche d’arc, nettement inférieur aux autres. Le poids d’un projectile peut être envisagé comme une mesure de la capacité à emmagasiner de l’énergie.

Si tous les projectiles sont lancés à la même vitesse initiale, leur poids définit l’énergie au début du vol. La résistance du trait correspond au taux de perte énergétique. Un faible rapport résistance/poids correspond à une longue portée.

Dans le cas de la flèche d’arc, ce rapport est environ deux fois plus élevé que celui des autres traits. Il apparaît donc qu’une fois les premières contraintes de conception des flèches surmontées, les ingénieurs de l’antiquité et du Moyen Age furent capables de beaucoup optimiser la conception.

Cette conception était si bien adaptée aux matériaux dont ils disposaient qu’elle n’a plus guère été améliorée pendant tout le temps où l’arc a constitué une pièce maîtresse de l’art militaire.